mardi 11 juin 2019

Zona frigida - Anne Birkefeldt Ragde

Un roman à lire en pleine canicule


Le résumé :

Nous sommes en Norvège et nous allons accompagner Béa, une jeune femme au caractère très affirmé, dans une croisière au Spitzberg, dans le Grand Nord. 
Officiellement Béa a choisi cette croisière comme la plupart des autres touristes, pour voir des phoques, des paysages grandioses et surtout des ours blancs. Mais elle avoue rapidement au lecteur qu'en réalité elle va au Spitzberg "pour picoler." Il faut dire que si le lecteur norvégien est susceptible de comprendre les motivations d'un touriste à aller se geler dans ce type de croisière, les lecteurs plus méridionaux seront quant à eux horrifiés et plus enclins à ne voir que les nombreux inconvénients que représente ce périple, en car d'abord, puis pour la plus grande partie en bateau, avec des escales parfois dangereuses sur la terre ferme. De quoi se demander ce que Béa va faire dans cette galère à la mode viking.
Et ce roman se limiterait à un banal récit de voyage si l'on ne découvrait pas rapidement que Béa a un sombre projet et que c'est la raison de cet exil glacé. 
Quel traumatisme a donc vécu Béa pour être aussi déterminée?
Quel rôle les passagers du bateau vont-ils jouer dans cette vendetta?

Mon opinion :

C'est un roman qui peut se vanter de m'avoir donné froid.
Mais qui sont donc ces touristes et de quel bois sont donc faits ces norvégiens pour avoir l'étrange idée d'aller se promener dans le Grand Nord, fut-ce en plein été ?  Que peut-on bien trouver d'excitant à contempler des ours blancs ou des phoques en train d'être tués puis dépecés ?  Et franchement, y a-t-il vraiment des gens pour s'extasier devant des banquises ou des montagnes de glace ou un paysage désespérément blanc  ? 
Ces questions, je me les suis posées tout au long de ma lecture sans jamais abandonner le livre tant je voulais aller au bout de cette épreuve pour connaître la finalité de ce voyage. Mais j'ai souffert.
Tout d'abord j'ai définitivement compris que je n'étais pas faite pour les pays nordiques, ni pour la neige. Ces paysages orphelins des forêts, de l'herbe, des fleurs m'ont déprimée. Ce qui ne sera pas le cas de tous les lecteurs.
Ensuite Béa, l'héroïne, m'a d'abord semblé particulièrement antipathique.  Ce n'est rien de dire qu'elle "picole" car je n'avais jamais imaginé qu'un être humain pouvait absorber autant d'alcool, de bières et fumer autant de cigarettes et ceci, du matin au soir et du soir au matin. Et l'auteur ne nous épargne aucun des verres qu'elle avale ni aucune des cigarettes qu'elle grille. A ce stade, on se surprend à douter de son intelligence, s'attendant à la voir sombrer dans le delirium tremens à chaque page. Encore que finalement, j'aurais préféré qu'elle nous décrive des éléphants roses que ces ours et ces phoques qui m'ont presque fâchée avec Greenpeace. 
J'en viens au récit entièrement narré à la première personne et selon l'unique point de vue de Béa qui finit par devenir lassant surtout lorsque l'héroïne est cette jeune femme assez imbue de sa personne, goguenarde avec certains passagers et à la limite de la xénophobie si l'on en juge par la manière dont elle parle des japonais et surtout des suédois.
Mais curieusement, comme je l'ai déjà dit, je n'ai pas abandonné le roman. Pourquoi ?
Il y a d'abord cette curiosité que l'on ressent dès que l'on a compris que Béa était là pour se venger. On veut savoir qui est la future victime et on est déjà prêt à prendre le parti de cette malheureuse tant on est en passe de haïr Béa. Mais on aurait tort.... Il y a pire que Béa. Je n'en dirai pas plus sur ce sujet.
Il y a ensuite ce sentiment de faire partie de la croisière - encore que je n'imagine pas un jour embarquer dans un bateau aussi peu confortable pour voir les autres s'enivrer d'alcools forts et surtout pour grelotter dans ma cabine - Mais on finit par se surprendre à regarder d'un œil bienveillant  tout ce petit monde que l'auteur parvient très bien à rendre tangible.
Par contre, en ce qui me concerne, je n'ai pas poursuivi ma lecture pour les ours blancs qui semblent fasciner tout le monde et qui m'ont confortée dans mon idée initiale : ce sont des animaux infréquentables. 

vendredi 31 mai 2019

Pierre - Fendre - Brice Tarvel

Un très chouette roman de fantasy


Le résumé :

Deux compères, Durlan et Garicorne, quittent Viridis, leur pays natal, le pays du printemps, et s'aventurent dans le Grand Dehors qu'ils ne connaissent pas pour une quête originale et hasardeuse : il s'agit de trouver la mythique Sommeilleuse, aussi nommée la Rêveuse ou la Bâtisseuse et dont la fonction semblait être de rêver le monde dans lequel vivent les hommes. Les deux amis ont en effet pour projet de la réveiller afin de faire tomber les murs du château qui de tous temps a borné l'univers des hommes.
Ce château énigmatique est constitué de différentes salles qui abritent des populations variées et hétéroclites d'individus plus ou moins bizarres et des animaux étranges, un peu hybrides et souvent dangereux.
Deux jeunes filles, Aurjance, la sœur de Durlan et Farille son amie, se lancent à la poursuite des deux hommes afin de les détourner de leur projet insensé, tant elles craignent que les deux hommes ne mettent fin à l'humanité en réveillant la Sommeilleuse qui est peut-être la grande Créatrice des hommes. Elles sont accompagnées d'un oiseau parlant et intelligent, Jazole, qui joue le rôle de protecteur et de boute-en-train.
Un troisième groupe, beaucoup plus inquiétant, se lance à la poursuite des deux compères dans le but de les arrêter par tous les moyens. Ce groupe est constitué de la sorcière Murgoche, de sa servante Clabousse et de quelques bandits de grand chemin ayant pour chef le très peu recommandable Yuk Long Renard. Leur but est aussi de mettre un terme à la quête de Durlan et de son amoureux Garicorne. 
Et tout ce petit monde va cheminer avec plus ou moins de bonheur en traversant d'abord Viridis, la salle du printemps, Chaloir, la salle de l'été, Feuille-sèche, la salle de l'automne pour arriver au but, Pierre-fendre, la salle de l'hiver. Le périple prendra des semaines, voire plus, tant la taille du château est gigantesque et tant les obstacles sont nombreux.
Et à l'arrivée....


Mon opinion :

J'ai adoré. J'ai même tout adoré : l'histoire, les personnages, les créatures, l'absurdité apparente du voyage, le style de l'auteur, le vocabulaire désuet emprunté soit au Moyen-âge soit à nos grands-mères, tout était délicieux. 
Ce château, tout le monde le comprendra, est un monde, un univers qui recèle les dangers les plus étranges et les inventions les plus bizarres. Que ce soit les hommes, les bêtes, les monstres ou même les matériaux, tout est étrange, tout est le produit d'une imagination fantasque et débordante. 

Quelques exemples pour vous mettre l'eau à la bouche 

Ce qui remplace le soleil : 
Le jour n’était pas tout à fait levé. Seule une demi-douzaine d’oiseaux de lumière avaient quitté leur repaire nocturne pour tournoyer mollement au ras de la voûte. Leurs ailes immenses pareilles à des flammes battaient en silence comme elles le feraient jusqu’à ce que revienne la nuit, c’est-à-dire jusqu’au moment où ces singulières créatures regagneraient leur cachette dans une des tours du château. Les héliavis, ainsi qu’on les nommait, remplaçaient ce mystérieux soleil qui éclairait le monde de jadis dépourvu de murailles.
Jazole, l'oiseau parlant d'Aurjance ;
Jazole, l’oiseau pique-pierre parleur et apprivoisé appartenant à Aurjance, se tenait sur son épaule, mais il ne tarda pas à rejoindre celle de sa maîtresse en lançant des « Jazole sait tout, Jazole dit tout ! » qui n’auraient pas manqué de faire sourire en d’autres circonstances.
Ce qui tient lieu de montures :
 « Si j’ai bien compris, c’est deux gonches que je dois vous confier », intervint Nordin qui, tenant une paire de belles bêtes par la bride, commençait à s’impatienter.Il ressemblait quelque peu à ses protégés. Longue chevelure en crinière, corpulence impressionnante, ongles sales évoquant des griffes… Il ne lui manquait que la queue écailleuse. Quoique, allez savoir..... [les bêtes moitié cheval, moitié dragon].
 Ce qui peut vous arriver en cheminant dans ce pays :
« La rocheluche commence toujours par vous solidifier les parties basses. Elle les rend plus cassantes que de la craie et, quand vous pissez, vous ne ressentez rien de plus que le goulot d’une fontaine. Puis le mal s’étend sans laisser beaucoup de répit, il grimpe jusqu’à vous rigidifier tout entier, faisant de vous une statue comme celles abandonnées ici ou là ou plantées en guise d’épouvantails dans les champs. Avez-vous envie d’avoir la bistouquette métamorphosée en un plantoir qui ne vous procurera plus aucun plaisir et qui se brisera à la moindre maladresse ? »
 Quelques "créatures" hantant le château :
Empaquetés en permanence dans leurs armures rougeâtres, les Acérains amenaient en effet à l’esprit des images de crustacés d’une taille ahurissante. Les billes noires qu’on distinguait dans la fente de leurs heaumes renforçaient cette impression et, bien qu’ils fussent dotés de quatre membres, on s’interrogeait sur leur véritable nature. Étaient-ils humains ? N’appartenaient-ils pas à ces monstres qui hantaient les sombres hauteurs mystérieuses du château ? Telles les petites bestioles que l’on pêchait dans les ruisseaux pour les faire cuire au court-bouillon, on les imaginait sortis d’une inquiétante citerne d’eau fuligineuse, d’un bassin situé sur quelque chemin de ronde inaccessible.

 « Des chauves-souris ! s’écria Dulvan en levant les bras pour se protéger.
— Tu veux dire des vampires, corrigea Garicorne. Et ils sont gros comme des cochons ! »
La comparaison n’était pas si exagérée. Ces chiroptères possédaient des ailes membraneuses d’une envergure exceptionnelle et elles soutenaient un corps à l’abdomen blafard et rebondi strié de vaisseaux gonflés de sang. Quant à leurs têtes, si elles étaient affublées d’un museau écrasé s’apparentant quelque peu à un groin, celui-ci laissait dépasser deux redoutables canines de la longueur d’une phalange. Le plus surprenant, c’était toutefois leur couleur. Ils étaient roses et pelucheux, avec des yeux ardents au pouvoir quasi hypnotique.

 Le fantôme d’une fillette n’aurait pas dû être très inquiétant. [...] L’enfant n’avait pas plus de consistance qu’une buée déposée sur un miroir, on voyait à travers son semblant de corps et de chemise de nuit, vêtement opalescent descendant jusqu’à ses pieds nus. Ceux-ci effleuraient à peine le plancher mais, visiblement mouillés, ils répandaient une flaque d’eau allant s’élargissant. Ses longs cheveux pareils à un emmêlement de fumée rabattue par un souffle encadraient son étroit visage livide et tombaient jusqu’à sa maigre poitrine que n’animait aucune respiration. Ses yeux qui ne cillaient pas, privés d’iris, ne laissaient voir que la blancheur hallucinante de leurs sclérotiques.

 Vêtu d’un sarrau crasseux, il arborait une tignasse et une barbe grises aussi peu entretenues mais, ce qui frappait surtout, c’était son absence de jambes. Non pas qu’il fût cul-de-jatte, cela n’aurait pas été si extraordinaire. En guise de membres inférieurs identiques à ceux de tout un chacun, il possédait deux bras supplémentaires dont il se servait avec la même dextérité que ceux accrochés à ses épaules.

Et bien d'autres créatures, inventions plus délirantes les unes que les autres, comme cette pluie noire, par exemple.
En fait c'est un univers qui m'a beaucoup fait penser au célèbre roman de Brian Aldiss, Croisière sans escale, puisqu'on retrouve un peu les mêmes thèmes : un voyage périlleux dans un univers dangereux et un dénouement étonnant.

lundi 29 avril 2019

Le Prince de la brume - Carlos Ruiz Zafón

Roman jeunesse ? Oui, mais pas uniquement

Le Prince de la Brume par [ZAFÓN, Carlos Ruiz]


Le résumé :

Max Carver, ses deux sœurs, Alicia et Irina, et leurs parents déménagent et vont s'installer dans "la maison de la plage", une demeure située dans un petit village espagnol. La guerre qui vient frapper aux portes de l'Europe n'est sans doute pas étrangère à cette brusque décision.
La maison de la plage a appartenu à une famille richissime qui a connu bien des malheurs : le couple qui l'avait fait construire a perdu son unique enfant dans des circonstances dramatiques.
Est-ce pour cette raison que la maison de la plage génère autant de réticences chez les enfants Carver? Il y a d'abord Max qui remarque des détails assez étranges comme une horloge dont les aiguilles tournent à l'envers, un jardin peuplé de statues qui se meuvent imperceptiblement; il y a Alicia qui a fait un rêve étrange dont elle ne parle pas; il y a enfin la benjamine qui a adopté ou a été adoptée par un chat diabolique qui espionne la famille de ses yeux jaunes qui semblent en savoir plus long que tout le monde. Il y a des bruits, des armoires hantées, à moins que ce ne soit la maison et même la région qui soient hantées.
Et puis, il y a le gardien du phare et son petit fils adoptif, Roland, qui ont, semble-t-il, un passé bien mystérieux.
Et si on parlait du Prince de la brume qui rôde, influence les hommes, inquiète, attend son heure, complote dans l'ombre ? Le Prince de la brume et sa clique maléfique....

Mon opinion :

J'ai d'abord lu L'ombre du vent, le Jeu de l'ange.... Marina, romans que j'ai beaucoup aimés, donc je me devais de lire Le Prince de la brume et les deux autres romans qui le suivent.
Cette trilogie est classée dans la littérature jeunesse, mais n'a rien à envier à ses grands frères dont l'écriture est peut-être plus ciselée, le fantastique plus sombre. 
Ceci dit Le Prince de la brume, premier roman de l'auteur est passionnant et prometteur car le personnage du méchant a une aura délicieusement maléfique, une présence indéniable et obsédante, un peu comme le clown de Ça de Stephen King auquel il m'a beaucoup fait penser par certains côtés. 
D'autre part le trio d'adolescents que l'on accompagne dans leurs tragiques aventures, n'est pas mièvre ni caricatural comme c'est souvent le cas en littérature jeunesse. On s'attache à eux et j'imagine fort bien que l'on puisse se sentir concerné par leur vie, leurs préoccupations. Ils sont très vivants. 
Enfin le roman ne s'essouffle jamais et les péripéties s'enchainent assez vite, nous tenant en haleine jusqu'au dénouement. Et ce dénouement, s'il ne nous étonne pas vraiment car on avait un peu deviné ce qu'il allait advenir de nos héros, remplit bien sa fonction et clôt admirablement ce roman agréable dont je conseille la lecture.

Je vais maintenant me plonger dans Le Palais de minuit



jeudi 25 avril 2019

Abracadabra - Maurice Sachs

Un conte de fées, vraiment?



Le résumé:

Daniel, un jeune oisif richissime et très gâté par la vie car il est jeune et très beau, orphelin puisque ses parents ont été tués dans un accident d'avion, non sans lui avoir laissé leur immense fortune, s'ennuie. Tout l'indiffère et rien ne l'amuse. Il mène une insipide vie de dandy trop riche qui n'a d'autre but dans la vie que de tenter de s'amuser, but qu'il ne parvient même pas à atteindre.
Jugez de sa demi-surprise quand il est un jour réveillé par un petit homme qui fait irruption de manière magique dans sa chambre.

— Par la quenouille de mon aïeule, je vous salue, monsieur !
Daniel souleva, tout doucement, les paupières, ne vit rien et se rencogna dans son fauteuil, en grognant.
— Par la quenouille de mon aïeule, je vous salue ! s’écria une voix étrange.
Cette fois, Daniel s’agita comme un dormeur qui a le cauchemar et porta ses mains à ses oreilles.
— Par la quenouille…
Daniel sursauta et ouvrit les yeux.
— Ah çà, fit-il.
— Je vous salue, monsieur, dit fort courtoisement un petit homme aussi bizarre que jamais ne se vit un petit homme.

Il n'y a pas grand-chose qui intéresse Daniel, mais cet inconnu qui est nain et fée à la fois, qui a beaucoup d'aplomb et qui semble décidé à bousculer la vie du jeune dandy, va réussir à percer sa carapace d’indifférence et Daniel va accepter la compagnie de cette étrange créature. 

— Je m’appelle Grain-de-Sel et par la quenouille de mon aïeule, je veux être changé en souris blanche si Grain-de-Sel n’est pas mon nom.
En fait, Grain de sel a un projet assez généreux.

— Comme il m’a semblé que vous vous ennuyiez, et que j’ai la vanité de croire que je sais distraire ceux qui s’ennuient, je suis venu me présenter. Si cela vous tente, nous nous verrons ; si je vous importune, je m’en vais. Rassurez-vous donc ; je ne viens pas vous gêner. Je viens m’amuser à vous distraire.
Et Daniel, sans le savoir, va s'embarquer dans une étrange aventure qui va changer son destin.


Mon opinion :

Tout d'abord, je ne connaissais Maurice Sachs que de nom et je n'avais lu aucun de ses romans.
C'est ainsi que j'ai écouté une émission de France Culture qui m'a fait découvrir un romancier assez sulfureux et pas vraiment recommandable. Jugez un peu:

https://www.franceculture.fr/emissions/une-vie-une-oeuvre/maurice-sachs-1906-1945-la-mauvaise-reputation

J'ai coutume d'accorder assez peu d'importance à la biographie des artistes, écrivains, poètes ou autres cigales et c'est heureux car Maurice Sachs, s'il faut reconnaître qu'il a séduit et trompé grand nombre de gens en son temps - et des gens très connus comme Cocteau, Gide et bien d'autres - n'est pas du tout un modèle de vertu. Mais peu importe puisque c'est son roman qui m'intéresse. 
Et j'ai vraiment apprécié cet étrange roman.
Le titre "Abracadabra" m'a tout d'abord décidée à le lire. J'ai gardé mon âme d'enfant et j'adore les récits merveilleux. Et l'on n'est pas déçu puisque l'histoire démarre sur les chapeaux de roue avec l'apparition du minuscule Grain de sel. 
Il faut dire que Grain de sel est un personnage attachant. Homme-fée aux desseins hasardeux, peut-être faussement généreux, Grain de sel bondit de page en page,  enchante nos sens, se métamorphose, étourdit son monde, bavarde sans répit et nous fait pénétrer dans un univers magique à la fois très proche du nôtre et hors de portée, malheureusement.
On adore Grain de sel, très vite.
Daniel, par contre, est agaçant. Égoïste, désabusé, trop riche, indifférent à l'univers magique de Grain de sel, on a très vite envie de le détester. Puis, il lui arrive quelques malheurs et il change, un peu. 
On va finir par le tolérer.
L'intrigue est assez déconcertante si l'on s'en tient uniquement au conte de fée, d'autant que le dénouement n'est pas satisfaisant et échappe au traditionnel "Ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfants."
Mais ce roman n'est pas un conte de fées....et derrière le personnage de Daniel, apparaît très vite la sulfureuse personnalité de l'auteur. De même, reconsidérons un peu l'amitié exceptionnelle qui va unir Grain de sel à Daniel à la lumière de la biographie de Maurice Sachs....Alors, on se dit que ce roman nécessite peut-être une deuxième lecture plus profonde, plus réfléchie et qu'il a quelque chose à nous murmurer à l'oreille. 

Finalement, ce roman est inclassable. On l'aime ou on le considère comme une calembredaine écrite par un esprit brouillon.
Moi, je l'ai aimé. Vraiment. 

dimanche 21 avril 2019

Élévation - Stephen KIng

Petit roman du King


Le résumé :


Scott Carey, cinquantenaire bien portant, vit à Castle Rock. Il est bien intégré dans cette petite ville typique des USA, divorcé, sans enfant, occupé par son métier de concepteur de sites Web, mais il a un secret qu'il ne confiera qu'à un vieil ami, le docteur Bob Ellis, médecin à la retraite. Son secret ? Il perd du poids à une vitesse assez régulière et ce, tous les jours. Le rêve pour quelqu'un qui pèse quand même plus de 110 kg comme lui ? Oui, peut-être, mais le processus est assez étrange car s'il perd des kilos, son apparence physique reste la même, celle d'un homme assez rondouillard, et les objets qu'il prend dans les mains perdent leur poids sans rien ajouter au sien.
Comment son problème va-t-il évoluer ? Que se passera-t-il quand il sera à zéro kg?



Mon opinion :

J'ai déjà dit que j'étais une inconditionnelle de Stephen King, même si depuis ses récentes publications, je suis plus réticente à lire ses histoires. La raison ? Je ne retrouve plus l'auteur de Shining, Ça, Simetierre, Désolation, Bazaar et autres romans de sa pleine maturité. Alors bien sûr, un auteur doit évoluer, il en faut pour tous les goûts, blablabla..., mais quand on est l'un des maîtres incontestés du fantastique, voire de l'horreur, on doit bien s'attendre à perdre une partie de son lectorat si on se met à virer sa cuti et à donner dans le mysticisme ou dans la fable bondieusante, non ?
Vous allez dire que je suis dure avec le Maître, mais jugez un peu :
Tout d'abord le livre qui coûte quand même 6,90 euros ne comporte pas plus que 160 pages. Or, ce qui fait notre délectation quand on a entre les mains un roman du King, c'est qu'il est gros ! C'est qu'il nous promet des heures de plaisir et d'aventures terrifiques. Ce n'est pas le cas avec Élévation qui se dévore en deux heures maximum.
Ensuite, là où j'ai vraiment été déçue c'est que l'auteur a quand même pioché dans deux de ses romans de jeunesse : 
Sac d'os qui mettait en scène un héros de 110 kg qui, pour avoir accidentellement mécontenté un vieux chef gitan un peu sorcier, est victime d'une malédiction qui le fait maigrir à vue d’œil. Ça vous rappelle quelque chose? 110 kg, la cure d'amaigrissement ? Eh oui, le même thème que dans Élévation. Quant à l'autre roman qui a permis au Maître de recycler une idée, c'est Marche ou crève avec cette longue course qui entraîne les concurrents à se surpasser et le héros à essayer de gagner. Là encore, on retrouve cette même idée, un peu plus discrète mais présente dans Élévation
Autre grief : le fantastique. Je veux bien qu'un homme qui maigrit sans raison, sans être souffrant, sans perdre son apparence soit une chose assez extraordinaire, mais de là à y voir une péripétie fantastique à la hauteur de Shining ou de Bazaar...Non ! D'autant que le dénouement....Je n'en dis pas plus mais je serais curieuse de savoir ce que vous en avez pensé.
J'ai le sentiment que le King a révisé sa manière d'écrire, fait abstraction du fantastique noir qui caractérisait ses romans. C'est son droit. Mais c'est aussi mon droit de dire que je ne retrouve plus l'enchanteur de mon adolescence et que je ne désire plus le suivre dans sa mutation un peu lénifiante. 

mardi 15 janvier 2019

La Vouivre - Marcel Aymé

Un roman issu d'une bien étrange légende


Résumé des deux premiers chapitres :


Chapitre I :
Où l’on fait connaissance avec Arsène Muselier. Jeune paysan de 23 ans - petit et puissamment charpenté et qui est en train de faucher une prairie à 6 h du matin – non loin d’une forêt et d’un étang – on apprend que les Muselier sont en froid avec leurs voisins et petits cousins, les Mindeur – on découvre la peur qu’Arsène ressent pour les serpents à cause d’un incident alors qu’il avait 5 ans : il a mis la main sur un serpent en cueillant du muguet – justement ce jour-là, il en rencontre un, une vipère, bientôt suivie d’une jeune femme : la Vouivre – légende de la Vouivre rapportée en détail par l’auteur.

Chapitre II 
Arsène rencontre la Vouivre et la suit – il l’aperçoit en train de se baigner et découvre sa robe et son rubis abandonnés sur la rive – il n’est pas tenté par le rubis même s’il se penche vers lui – la découverte des serpents qui le gardent le rebute – il se tourne alors vers la Vouivre qui sort de l’eau et la regarde sans gêne, d’abord – ils engagent la conversation comme un jeune homme et une jeune femme ordinaires, sur le temps, la récolte du foin, les terres – et Arsène continue à la regarder d’autant qu’elle n’éprouve aucune honte à se montrer nue – puis la Vouivre siffle une vipère et les deux jeunes gens se séparent.

Mon opinion :

J'adore les légendes, le merveilleux. Et la Vouivre est une légende de la Franche-Comté qui raconte l'histoire d'une femme très belle qui...Mais je laisse parler l'auteur :

"Vouivre, en patois de Franche-Comté, est l’équivalent du vieux mot français « guivre » qui signifie serpent et qui est resté dans la langue du blason. La Vouivre des campagnes jurassiennes, c’est à proprement parler la fille aux serpents. Elle représente à elle seule toute la mythologie comtoise, si l’on veut bien négliger la bête faramine, monstre certainement très horrifique, mais dont la forme et l’activité sont laissées au caprice de l’imagination. Sur la Vouivre, on possède des références solides, des témoignages clairs, concordants. Dryade et naïade, indifférente aux travaux des hommes, elle parcourt les monts et les plaines du Jura, se baignant aux rivières, aux torrents, aux lacs, aux étangs. Elle porte sur ses cheveux un diadème orné d’un gros rubis, si pur que tout l’or du monde suffirait à peine à en payer le prix. Ce trésor, la Vouivre ne s’en sépare jamais que pendant le temps de ses ablutions. Avant d’entrer dans l’eau, elle ôte son diadème et l’abandonne avec sa robe sur le rivage. C’est l’instant que choisissent les audacieux pour tenter de s’emparer du joyau, mais l’entreprise est presque sûrement vouée à l’échec. À peine le ravisseur a-t-il pris la fuite que des milliers de serpents, surgis de toutes parts, se mettent à ses trousses et la seule chance qu’il ait alors de sauver sa peau est de se défaire du rubis en jetant loin de lui le diadème de la Vouivre. Certains, auxquels le désir d’être riche fait perdre la tête, ne se résignent pas à lâcher leur butin et se laissent dévorer par les serpents."
Alors, s'agit-il d'un roman fantastique?
Je répondrai oui, dans un premier temps, car on est bien dans un univers réel, le nôtre, univers dans lequel fait irruption une créature surnaturelle, mythique, impossible à accepter, normalement, si l'on est quelque peu rationnel.
Mais cette créature appartient aussi au folklore merveilleux de toute une région puisque, comme elle l'expliquera elle-même, elle existait avant que les ancêtres de l'homme songent à se redresser et à prendre leur destin en main.
Ceci dit, fantastique ou merveilleux, peu importe car l'auteur ne mise pas réellement sur l'épouvante que peut susciter chez le lecteur l'apparition de cette créature. D'ailleurs, cette Vouivre nous paraît si naturelle, si proche de n'importe quelle fille un peu jolie de la campagne que l'on est finalement très peu impressionné. Oh ! bien sûr, l'arrivée spectaculaire de cette brassée de serpents pourra en faire frémir certains. Mais sans plus.
Donc l'auteur a d'avantage misé sur ses personnages, sur leurs sombres passions. Il a aussi profité de ce roman pour peindre des paysages magnifiques dans lesquels il doit faire bon se promener. On ressent la forêt, l'eau de manière animale et on ne s'étonne pas plus que le héros de voir surgir cette femme-serpent. Et c'est là que se trouve la force de ce roman : nous faire accepter l'inacceptable comme s'il allait de soi.
Aussi je tiens à préciser que Marcel Aymé n'est ni Lovecraft ni Stephen King. Pour lui, le fantastique ou le merveilleux ne sont que des prétextes. Pourtant, ce roman est magique, et si j'ai aimé ce livre, car je l'ai aimé, c'est surtout pour les images bucoliques de la région, et aussi parce que j'avais très envie de savoir comment cette intrigue allait se dénouer. Comment cette ou plutôt ces histoires d'amour allaient tourner.
Evidemment je ne le révélerai pas. A vous de lire cette histoire.

Ceci dit, il y a une assez bonne adaptation du roman, pour les lecteurs quelque peu paresseux .... https://www.telerama.fr/cinema/films/la-vouivre,14978.php

...et même une bande dessinée de Bernard Clavel et François Bourgeon. 

Un de Baumugnes - Giono

Un si joli roman sur l'amitié, l'amour, la Nature


Le résume des deux premiers chapitres :


Chapitre I : 
Le narrateur qui utilise la première personne « je sentais… » est le Vieux, Amédée de son prénom. Il est un « rouleur », c’est-à-dire un ouvrier agricole qui parcourt les chemins pour trouver du travail. Il se définit lui-même comme un « bohémien », comprenez quelqu’un qui « pour un oui, pour un non, […] lâche tout » pour aller chercher du travail ailleurs.
Ce soir-là, dans un bar de Manosque, il s’assied à côté d’Albin, un gars de la campagne, un gars de Baumugnes, un village de la montagne, mais un gars qui a quelque chose à dire, quelque chose qui le rend triste.
Albin va bientôt lui raconter comment il a rencontré un type de Marseille, un jeune, mauvais et peu recommandable, qui porte un tatouage sur la paume de la main où il est écrit « Merde », qui s’appelle Louis, qui est un mauvais compagnon mais qui chante, fait des blagues, qui parle bien et qui est coquet. Albin a honte de lui mais se laisse entraîner par sa façon d’être. Un soir alors qu’ils sont attablés à une terrasse, ils voient arriver une belle jeune fille. Elle mène un attelage de main de maître : c’est Angèle. Albin tombe amoureux tandis que Louis parle mal de la jeune fille en annonçant clairement son intention de l’avoir et de l’utiliser.

Chapitre II :
Retour d’Amédée et d’Albin à Marigrate où ils travaillent tous deux. Albin continue à se confier au vieil Amédée et lui explique l’histoire de son village : Baumugnes. On découvre, une légende, un mythe : Les habitants, les hommes, auraient eu, il y a longtemps, la langue coupée car ils ne croyaient pas à la religion. Pour communiquer, ils se sont mis à utiliser des harmonicas. C’est ce qui explique que ceux de Baumugnes, depuis cette époque, jouent de l’harmonica. Amédée est très étonné par cette légende et en vient à se demander qui est Albin (un Dieu ?).
Albin raconte ensuite comment Louis et lui ont à nouveau rencontré Angèle qui travaillait seule aux champs, comment ils l’ont vue presque nue, comment Louis l’a appelée et comment Albin a découvert que Louis et elle avaient fait connaissance d’une manière très intime. Louis a forcé Angèle à avoir des relations avec lui, relations qui continuent tous les soirs. Albin découvre aussi que Louis va s’enfuir avec Angèle et qu’il a l’intention de la prostituer.
Malade de chagrin, Albin travaille au soleil sans chapeau et attrape une grave insolation. Il rêve qu’il assiste, impuissant, au départ d’Angèle.



Mon opinion :

Impossible de ne pas adorer Giono tant il a ce don si particulier pour décrire les hommes, mais surtout la Nature, et nous faire pénétrer au cœur de ces paysages qu'il a tant appréciés.
Alors, cette histoire?
Eh bien c'est d'abord et essentiellement une histoire d'amitié entre deux hommes, Amédée et Albin. C'est une amitié qui va porter le roman et déboucher sur son dénouement, c'est une amitié d'hommes qui se respectent et qui sont capables de transcender leur condition humaine.
C'est aussi une histoire d'amour. Entre un homme et une femme, d'abord. C'est une histoire d'amour qui est poétique tant les deux personnages sont purs et attachants et tant la décision que va prendre Albin est digne d'un conte.
C'est aussi une histoire d'amour entre les hommes et la Nature. On sait que Giono est poète car il idéalise toujours la Nature, employant des images issues du cœur des campagnards qu'ils soient paysans (Que ma joie demeure) ou simples rouleurs comme ici Albin et Amédée.
C'est aussi une histoire qui frôle le merveilleux car à travers le personnage d'Albin, on peut reconnaître le dieu Pan, tandis qu'Amédée n'est pas sans faire songer à Hermès, en personne.
En fait, si j'aime les romans de Giono, c'est parce qu'ils sont beaux, purs et profondément humains. Ils sont aussi poétiques et intemporels. C'est pour cette raison que je déplore le fait qu'ils soient de plus en plus les grands oubliés des manuels scolaires.